La Micro sur orbite

Depuis les satellites d'observation de la Terre jusqu'au micro-ordinateur grand public (en l'occurrence l'EXL 100 d'Exelvlsion), une veritable chaîne de traitement de l'image a été réalisée par un laboratoire de recherche de l'école des Mines de Paris. Installé à Sophia Antipolis dans les Alpes Maritimes. Fascinante parce qu'elle relie deux technologies cousines mais bien différentes quant aux moyens qu'elles mettent en oeuvre, cette chaine ouvre de larges perspectives: de nombreuses applications de la télé détection deviennent accessibles au plus grand nombre, tant pour une utilisation concrète que pour des objectifs pédagogiques. Des élèves de première du lycée du l'arc à Nice travaillent déjà sur ce système.

Les chercheurs et étudiants du Centre de télédétection et analyse des milieux naturels se frottent les mains. Avec la mise sur orbite, il y a quelques jours, de SPOT-1. premier satellite français de télédétection, un torrent d'images de notre planète va se déverser sur leurs écrans d'ordinateurs. Pour ce laboratoire de Itcole des Mines, cela signifie des années de traitement, d'analyse, d'exploitation dans des domaines aussi variés que l'océanographie, la recherche minière, l'inventaire forestier, ou l'aménagement du territoire. Hormis quelques photos spectaculaires que la presse ne manquera pas de reproduire, on peut penser que les implications d'une telle recherche ne toucheront guère le grand public. Pourtant, sous la houlette de son directeur Jean-Made Monget, le CTAMN a récemment décidé d'étendre son savoir-faire, jusque-la développé sur de gros systèmes, à la micro-informatique. Ainsi, au lycée pilote du Parc, à Nice, des élèves de premiere peuvent s'initier à la cartographie numérique et au traitement d'image en général grace au progiciel Carto PC réalisé par le CTAMN. Ce système est conçu en réalité comme un véritable réseau d'images, avec un IBM PC comme serveur, et des micro-ordinateurs (EXL 100 par exemple) comme stations de travail. A partir de ces premieres expériences, on peut très bien Imaginer les services qui pourraient être rendus à un coût raisonnable, à de nombreuses collectivités locales: plan d'urbanisation ou exploitation du domaine forestier d'une commune, prévisions de récoltes et analyse des sols pour des groupements agricoles, meilleur contrôle des zones à haut risque d'incendie, aide à la recherche de lieux de pèche, etc.

Prise par Landsat 2, une image de la frontière algéromarocaine. Tout ce qui est représenté en rouge correspond à des zones devégétation.

Du Satellite à l'Exelvision EXL100, la télédétection à la porté de tous

Traitée sur IBM PC, cette vue de la région de Toulon-Sanary (ci-contre), met en évidence les zones urbaines (en rouge vif), ainsi qu'un incendie très important dans la forêt varoise (en magenta).
Ci-dessous, la même image traitée par Exelpaint délimite les périmètre urbains.

Déjà révolutionnaire par ce qu'elle nous apprend sur notre planète, la télédétection a également désormais les moyens de changer la vie quotidienne de bien des gens. Un petit retour en arrière s'impose. A partir de 1972, et du lancement du premier satellite Landsat par les Américains, notre planète se découvre un nouveau visage dans l'extraordinaire miroir qui lui est tendu. La raison en est simple: contrairement aux satellites météo, placés le plus souvent sur une orbite géostationnaire à 36 000 km d'altitude et qui donnent une vue d'ensemble de la Terre, peu détaillée et sous un angle immuable, les satellites de télédétection sont placés sur des orbites basses, à la limite de l'atmosphère, et sur un trajet qui passe par les pôles. Conséquence: la Terre tournant, comme chacun le sait, sur l'axe des pôles, il suffit de determiner la vitesse orbitale du satellite pour pouvoir observer n'importe quelle zone du globe. De plus, la télédétection n'est pas fondée sur la photographie, mais sur des télescopes électroniques qui analysent la lumière solaire réfléchie par la planète, selon une largeur de spectre bien plus étendue que celle de l'oeil humain. Ceci est rendu absolument nécessaire par le fait que l'atmo-sphère filtre une grande partie de ce rayonnement. Il est impossible, par exemple, de percevoir la couleur verte des zones de vegetation. En revanche, l'atmosphère laisse passer sans trop de problèmes les infrarouges qui réagissent très bien la presence de chlorophylle. C'est ainsi qu'il est tout â fait possible de recenser précisément les différentes essences d'arbres qui composent une foret, ou de différencier sur une carte les zones géologiques. En simplifiant, on peut dire que toutes les matières terrestres émettent des rayonnements différents qu'il suffit de trier.
Ces informations étant transmises par le satellite sous forme numérique, c'est-à-dire de données binaires, on mesure l'importance de l'informatique dans ce traitement. D'autant plus que la masse de données expédiées pour une seule image est véritablement énorme, et que seuls de gros systèmes, extrêmement rapides et dotés de gigantesques capacités de mémoire, peuvent les recevoir.
Les investissements sont tels que, souvent, la création d'un centre de réception Landsat ou SPOT ne peut se faire qu'à l'échelle d'un pays. Mais une fois que les données constituant l'image sont sauvegardées, elles peuvent étre copiées sur bandes magnétiques et commercialisées, chaque client pouvant ainsi choisir et exploiter de manière indépendante les images qui l'intéressent. Ainsi procède, depuis des années, le CTAMN avec les informations fournies par Landsat ou NOAA (satellites spécialisés dans la thermographie, c'est-à-dire le relevé des températures de surface), et bientôt SPOT.

Clientèle assurée

La mise en service opérationnel de SPOT est particulièrement attendue au CTAMN, car il constitue un grand progrès en ce qui concerne la finesse de l'observation: le point de mesure de SPOT, c'est-à-dire l'unité élémentaire de sa résolution, correspond â un carré de 10 mètres de côté pour une image en noir et blanc, de 20 mètres pour une image en couleur. Landsat, par exemple, a un point de mesure de 80 mètres environ. Cette résolution améliorée avec SPOT va permettre de préciser certaines applications, et d'en développer de nouvelles: analyse de tissu urbain, inventaire précis de cultures, etc. Le CTAMN de Sophia Antipolis est un laboratoire de recherche appliquée. Cela signifie que, sous le statut d'association, il est habilité â commercialiser le résultat de ses recherches. La liste des clients pour lesquels il a mis au point des systèmes de traitement d'image est â cet égard éloquente: on y trouve aussi bien des "institutions" comme le CNES ou le CEA, que des sociétés telles que la SEP. l'un des maîtres d'oeuvre du projet SPOT, ou la SODETEG, dont l'unité Télédétection vend, partout dans le monde, des systèmes de cartographie numérique. Ce marché a permis au CTAMN de constamment orienter ses recherches vers une utilisation "pratique" de la télédétection. Et avec le micro-ordinateur, c'est tout un nouveau marché et des applications nouvelles qui se profilent â l'horizon scientifique et commercial.
Bien évidemment, pour les raisons techniques Invoquées plus haut, il ne faudrait pas s'imaginer qu'un EXL 100 puisse accéder directement aux flots de données des satellites. De nombreuses étapes Intermédiaires sont nécessaires, mais toutes passent par la notion de banque d'images. Au CTAMN, la chaine satellite EXL 100 est effectivement réalisée et opérationnelle. En amont, on trouve les sources d'images: d'une part celles qui sont directement captées sur des satellites "libres d'accès" (Meteosat), d'autre part celles qui sont achetées sous forme de bandes magnétiques (Landsat: de 20 000 â 25 000 F par image). Ces images sources sont stockées, analysées, "dégrossies" sur un mini-ordinateur SPS-9 de Bull. A partir de là, deux moyens de traitement sont possibles. Les stations detravail professionnelles, avec des résolutions d'écran (512 x 512 points et plus) et une puissance de traitement comparables aux postes de CAO, sont bien sûr indispensables pour une exploitation optimale des ressources de la télédétection. Très lourds à mettre en oeuvre, ils nécessitent également des investissements importants. Deuxième solution donc, le progiciel CartoPC sur IBM PC du CTAMN. La configuration type de ce progiciel comprend un IBM PC ou compatible avec 256 Ko de mémoire centrale, une unité de

Appliquée â la géologie, la cartographie numérique (à gauche sur EXL 100, à droite sur 113N PC) permet de visualiser la nature des sols. A partir de documents plus précis, elle permet de renseigner la recherche minière.

disquettes et un disque dur, une carte graphique (type Tecmar) et un moniteur couleur qui permet de restituer la résolution du système: 640 x 400 pixels en 16 couleurs. A cela peuvent s'ajouter une tablette graphique, pour saisie directe cartographique, une imprimante couleur â jet d'encre, un lecteur de  disque optique numérique, qui permet une seule écriture, et une carte de numérisation par laquelle une caméra vidéo peut également saisir des documents. La partie logicielle de CartoPC, par un jeu d'options important, donne accès à pratiquement toutes les applications de la télédétection et de la cartographie numérique. Écrite en Turbo-Pascal, elle peut également être adaptée à des casparticuliers. La gestion des 16 couleurs de base est étendue par une technique de tra mage semblable â celle utilisée en photogravure : 215 couleurs peuvent ainsi être affichées. La banque d'images que constitue la mémoire du SPS-9 peut être transférée, morceau par morceau, sur les périphériques de sauvegarde de l'IBM PC.

Kermit et l'EXL 100

Le processus est simple. Le Bull SPS-9 et l'IBM PC disposent d'un protocole de communication commun pour l'échange des données. Ce protocole, appelé Kermit, a été défini par l'université de Columbia â New York et a été implanté sur de nombreuses machines pour la bonne raison que, non content d'être très fiable, il est également gratuit! La liaison se fait soit à travers un modem et le réseau PTT, soit par les interfaces séries RS 232. Dès lors, l'IBM PC peut avoir indirectement accès à toutes les données numériques délivrées par les satellites, et devient, pour les universités par exemple, une alternative économique. En aval de la chaine, on trouve enfin notre ordinateur familial tant attendu : l'EXL 100, équipé du modem Cxelmodem, et du logiciel de dessin Exelpaint. Pour le CTAMN, les raisons du choix de l'EXL 100 sont simples. Le réflexe de voisinage a joué bien sûr, Exelvision étant installé à Sophia Antipolis, mais aussi certaines caractéristiques de la machine : la résolution maximale est de 320 x 200 points, en 8 couleurs, sans contrainte de proximité; l'Exelmodem est également doté de Kermit, ce qui rend le transfert de données avec l'IBM PC particulièrement aisé; le logiciel Exelpaint facilite la manipulation des images et les interventions (simplifier des contours, modifier des couleurs, mettre en évidence certaines zones, légender l'image, etc.). Ainsi peut-on obtenir sur EXL 100 des écrans tels que celui de la France géologique (voir ci-contre), dont l'intérêt pédagogique réside tant dans l'étude physique d'une carte que dans le travail que peut réaliser l'élève à partir de tels documents.

En ce qui concerne l'Éducation nationale, cette idée de réseau IBM PC et EXL 100 se heurte cependant â un problème d'intendance: la plupart des micro-ordinateurs Exelvision installés dans le cadre du plan Informatique pour tous l'ont été dans des écoles primaires, sans Nanoréseau, sans IBM PC. Et là, il semblerait que l'on se préoccupe davantage de faire comprendre aux enfants la notion de plan que les mérites de la cartographie numérique et de la télédétection... A contrario, les micro-ordinateurs Thomson installés dans les lycées, qui de plus bénéficient souvent du voisinage d'un IBM PC, n'ont pas les possibilités graphiques suffisantes (notamment en raison des contraintes de proximité qu'ont les couleurs affichées â l'écran), pour permettre une approche sérieuse de ce genre d'applications. C'est pourquoi le CTAMN semble vouloir privilégier ses efforts de vulgarisation en direction des collectivités locales plutôt que vers l'enseignement secondaire.

© Yann GARRET - SVM N°26 - Mars 1986


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